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1840 à 1858 - Ses études | à Polytechnique |
Le texte qui suit est la transcription du texte dactylographié des Mémoires écrites par Joseph Barba. |
Avant la révolution, un de Wendel était seigneur d'Hayange et en possédait les forges qui furent, sans doute, confisquées lors de l’émigration. Ces forges s'échelonnaient le long de la Fensch, petite rivière qui prenait sa source à Fontoy, actionnait successivement les usines des fourneaux de la Platinerie, du Château, de la Fonderie, de Suzange, Schremange[1], le moulin Darspich[2] et, après un cours de 25 km environ se jetait au barrage de la Moselle à quelques kilomètres de Thionville.
Les forges du Château furent bientôt supprimées et remplacées par des serres. Ce château était un bâtiment considérable de 120 mètres environ, longeant la route et qui avait trois ailes dirigées vers le Nord. Le château était entouré d'un parc assez important. Ce château comprenait beaucoup de chambres. A l'extrémité Est, se trouvait une chapelle où l'on disait fréquemment la messe et nous allions bien souvent le dimanche.
Au retour de l'émigration, François de Wendel chercha à rentrer en possession de ses forges, mais pour y parvenir il fut obligé d'emprunter de l'argent à des juifs.
Il fit appel à mon grand-père, alors contrôleur des forges de l'Artillerie de Besançon, le mit à la tête de ses bureaux. Mon grand-père venait de se marier avec mademoiselle Willaume de Cattenom. On installa le ménage dans le château, au dessus des bureaux et ma famille conserva cet appartement jusqu'à la mort de mon père en 1868.
Au début, il y eut des rapports fréquents entre la famille de Wendel et ma famille. On m'a souvent dit que d'après ses débuts et les services rendus, ma famille aurait dû avoir, à coté des de Wendel une situation toute différente, d'après d'autres, les Barba seraient des ingrats.
Mes grands-parents eurent quatre enfants Adolphe, Amélie, Charles, Émile. Ce dernier qui fut mon père naquit en 1816. Il fit ses études au lycée de Metz et après avoir été bachelier, il entra à Paris dans une maison de commerce pour apprendre la comptabilité. Il revint à Hayange en 1837. Il ne tarda pas à se marier avec Mademoiselle Sabina Marc et entra au bureau sous les ordres de son père. Le jeune ménage acheta une maison dans le voisinage du château. Cette maison était mal exposée, au Nord, adossée à une colline sur laquelle se trouvait notre jardin. Ce fut là que je naquis le 16 juillet 1840.
J'eus ensuite une petite sœur (Laure). Mais au bout de deux ou trois ans, elle fut emportée par le croup[3]. Ma mère eut beaucoup de peine à supporter ce malheur, elle même devint phtisique et après de longs mois de dépérissement, elle mourut à la fin de 1846.
J'ai bien peu de souvenir de mes premières années. Un jour, voyant une petite bouteille sur la cheminée renfermant quelques gouttes de liquide, j'ai voulu le boire, c'était de l'acide sulfurique, je n'en ai pas avalé mais le liquide est tombé près de mon nez et traversant mes lèvres et mon menton a brulé ma robe, j'ai conservé une cicatrice.
Mon oncle Adolphe avait fait ses études au collège de Pont-à-Mousson. Il entra ensuite aux Fourneaux dont il prit la direction. Il ne tarda pas à se marier et à épouser Mademoiselle Félicie Rodin, dont la famille exploitait une grande ferme à Rettel, près de Sierck. Au bout de quelques années, mon oncle demanda de l'augmentation qu'on lui refusa et se décida à aller exploiter lui-même un haut-fourneau à Villerupt. C'était à cette époque un haut-fourneau à charbon de bois. Il le dirigea très habilement et au bout de quelques années, il se trouva assez riche et alla se fixer à coté de la famille de sa femme. Celle-ci occupait un ancien couvent, et mon oncle acheta dans le voisinage une maison assez importante qui avait été le prieuré.
Cette famille se composait de 6 filles et de 2 fils : Auguste, officier d'artillerie, fut je crois, tué en duel et Alphonse s'occupait activement des travaux de la ferme.
Mon grand-père Marc mourut vers 1845. Mon grand-père, outre ma mère, laissait deux autres enfants Georges, qui après quelques années passées en Afrique revint à Suzanges[4] à coté de mon père et Éléonore qui épousa Monsieur Rouge.
Cependant mon père ne pouvant pas s'occuper de moi, se décida à me mettre interne au lycée de Metz. J'avais sept ans et trois mois quand j'entrai dans la classe de 9e. J'étais assez avancé pour l'orthographe et le calcul grâce aux leçons d'un jeune employé.
Le jour du départ, j'étais pressé de monter en voiture, impatient de quitter ma famille, ce qui exaspéra mon vieux grand-père Barba. Je fus d’abord enchanté d’avoir un nouvel uniforme que nous trouverions un peu ridicule, pantalon à pont-levis, habit à queue de morue et chapeau à haute forme. J’étais le plus petit du lycée. J'avais pour correspondant le capitaine Vanderveken dont la fille Caroline avait un an de plus que moi. Mais je ne me trouvais jamais heureux dans mon intérieur. Je ne tardai pas à trouver insupportable ma nouvelle existence, j'écrivis à mon père de venir me chercher, disant que je ne voulais plus rester et que s'il ne me reprenait pas je me sauverais. Mon père m'écrivit un peu de morale et je restai au lycée pendant onze années encore trouvant cette existence toujours bien fastidieuse.
Mon grand-père mourut au commencement de 1848.
Le mois de février vit une solennité imprévue. On nous conduisit tous sur la place de l'esplanade à Metz, pour assister à la plantation de l'arbre de la Liberté. Nous chantions à tue tête la Marseillaise dont je ne savais pas un seul mot. On nous congédia ensuite et on m'expédia dans ma famille par la diligence de Thionville. Je dus m'arrêter à Uckange et me mettre à la recherche d'une voiture, je parvins à persuader un loueur qui me conduisit à Hayange.
Mes premières années du lycée ne furent pas trop mauvaises pour mes études, mais quand vint le latin et surtout le grec, je n'eus plus beaucoup d'enthousiasme et je devins peu à peu un élève assez médiocre. En quatrième, j’ai eu un accident qui aurait pu me rendre boiteux. En jouant à saute-mouton sur un escalier de pierre, mon pied s'étant accroché, je tombai sur l'arête coupante d'une marche et je passais deux mois à l'infirmerie. Quand je pus marcher avec deux béquilles, on me renvoya dans ma famille, mon année était ainsi un peu écourtée.
Dans la classe de troisième, je devins assez dissipé, j'eu de fréquentes privations de sortie, des pensums, je fis même connaissance avec la prison. Notre professeur d'Histoire était un peu ridicule et nous nous en moquions souvent. Ses classes venaient généralement à la suite de nos classes de lettres et un jour qu'il se présentait solennellement à la porte de la classe, je saluai son apparition d'un « ecce homo » retentissant qui causa l'hilarité de tous mes camarades mais l’autorité trouva cette gaminerie excessive. Je dus me déclarer et aller la méditer en prison par une température peu réjouissante.
Mon père resté veuf à 28 ans, avait une existence assez sévère dans son village auprès de sa vieille mère dont tous les instants étaient occupés aux soins du ménage et du jardin. Il allait le soir chercher un peu de distraction au Casino, au cercle où se réunissaient un certain nombre d'employés. C’était à une époque où les esprits étaient assez agités et il avait jugé prudent d'emporter une arme un peu défensive. Il avait fait adapter à sa canne un moulage en fonte. Il venait parfois me voir au lycée et passait souvent sa soirée au théâtre où il m'emmenait pendant une heure ou deux avant de me rentrer au lycée. Il pouvait rentrer chez ma tante Baudot par une entrée spéciale sans déranger personne.
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Cependant en 1854, il se décida à épouser sa cousine germaine, Caroline Willaume dont il connaissait les précieuses qualités et qui fut pour moi une parente excellente. Le jour du mariage il y eut un grand diner de famille au principal hôtel de Thionville. Le soir, on fit une partie de main jaune[5] et je fus favorisé par la fortune. Les nouveaux époux partirent pour les bords du Rhin et la Belgique. Mon oncle Charles qui s'était présenté infructueusement à l'École polytechnique avait été reçu à l'école Centrale. Après divers travaux, il entra au service de la compagnie P.L.M. dont il construisit plusieurs sections. Il revint ensuite en Lorraine et Mr de Wendel lui confia la construction du chemin de fer reliant ses houillères de Petite Rosselle aux usines de Stiring-Wendel[6]. Il se retira ensuite à Metz tout en venant souvent à Hayange et à Rettel. Mon oncle Baudot, qui était un bien excellent homme, entreprit alors de développer en moi l'amour des sciences et de m'arracher au rang médiocre que j'occupai dans ma classe. Il vint me donner quelques répétitions de géométrie et d'algèbre et parvint rapidement à m'intéresser à ses calculs. Le bon résultat ne tarda pas à se faire sentir et l'année suivante, pendant ma rhétorique je devins un bon élève. On comptait bien me voir réussir au baccalauréat mais hélas la version latine me fit échouer, mais néanmoins comme j'avais bien travaillé, mon père ne voulut pas me priver de la récompense promise. Je venais d'avoir 16 ans. Il me fit prendre un permis de chasse et mes vacances eurent désormais une distraction agréable. Elles avaient été auparavant assez ternes. Je n'avais que bien peu d'occasions de me distraire. Pas de camarades fréquemment à ma disposition, je jouais quelquefois avec Henri de Wendel sous la surveillance de mon |
brave homme de précepteur, le digne monsieur Bonnin, grand amateur de botanique et qui charmait ses loisirs en confectionnant des tables, des chaises et des pavillons rustiques dont il ornait le parc. Nous faisions de la maçonnerie ou de la menuiserie ou bien on nous emmenait promener. Je n'eus que plus tard la société fréquente d'Eugène Mondelange, mais seulement quand on nous laissa sortir seuls.
Dans les dernières années, nous avions des fusils pour tirer les moineaux en attendant de pouvoir aller à la chasse. Je me rappelle un jour où en passant le long de l'étang de la Platinerie[7], j'aperçus un superbe chevaine[8], immobile entre deux eaux sous le soleil radieux. Je le tirai après avoir visé un peu au dessous de lui pour corriger la réfraction. Il revint immédiatement à la surface le ventre en l'air. Je parvins à le sortir de l'eau et je l'emportai précipitamment dans ma famille, je l'avais allongé le long de mon corps de façon à le dissimuler quand je rentrerais au château, car c'était un peu de contrebande. Je le remis à la cuisinière mais je fus fort surpris de la voir mordue fortement pendant qu'on l'écaillait. Il était simplement étourdi. Je l'avais échappé belle.
J'eus désormais des vacances plus agréables. Ma nouvelle mère était très intelligente et nous avions des conversations à la fois instructives et intéressantes. Je lui faisais souvent la lecture et je l'accompagnais toutes les fois qu'elle allait au jardin.
J'avais eu aussi l'idée de faire des levers d'arpentage et en empruntant les divers instruments nécessaires, je fis donc la prairie opposée des levers à la boussole où à la planchette ou au théodolite.
Et puis l’amour de la chimie me fit entreprendre des expériences. On me payait mes places de composition quand elles étaient satisfaisantes et je parvins à me faire une petite bourse qui me permit d'acheter des cornues, fourneaux et drogues nécessaires. Je m'installais dans une pièce voisine de la cuisine qui servait à la fois de chambre à repasser, de salle de bain et de dépôt pour le lait ; quand celui-ci éprouvait quelques perturbations, on ne manquait de m'en accuser.
Je fouillais les vases du bras de la rivière qui séparait notre jardin de celui des Wendel pour en recueillir tous les gaz combustibles. Il ne m'arriva aucun accident, j'étais cependant un peu imprudent. Je préparais un jour une quantité un peu grande de fulminate de mercure. Je voulus l'essayer en en chargeant un petit canon d'enfant et en me dissimulant derrière une charmille de notre jardin, j'y mis le feu. Le canon vola en éclats, je n'étais guère bien protégé mais un fragment tomba sur les genoux de ma mère qui était assise sur un banc un peu en arrière, à coté de mon père. On attendait alors la naissance d'un petit frère. Ma mère fut fort effrayée et je fus tancé d'importance par mon père.
J'allais tous les ans voir mes deux oncles à Rettel et à Stiring et j’étais absolument gâté par leurs familles à Rettel. Alphonse Robin se disait aussi mon oncle. Il m'emmenait à la chasse au delà de la frontière prussienne et me faisait boire de l'eau-de-vie. Mon oncle de Stiring me faisait faire, tous les ans, avec lui, quelques petits voyages. En dehors de visites à Forbach et à Sarrebruck, j'allai avec à Trèves et une autre fois à Mannheim.
Les usines de Stiring étaient alors dirigées par monsieur Lang, il avait épousé une demoiselle de la Cottiere. Ils eurent deux enfants, une fille et un fils Adolphe légèrement plus âgé que moi, qui entra à l'école des Mines puis aux usines. Il fut logé au château. Je me liai beaucoup avec lui. Il avait une vocation décidée pour l'état militaire et regretta toujours que ses parents l'eussent empêché de se présenter à Saint-Cyr. Il finit par s'engager, alla en Afrique et fit parler de lui dans une expédition pour le Maroc, mais son rôle principal fut d'enterrer les cholériques fort nombreux pendant la campagne. Profondément dégouté, il se laissa racheter et revint à Hayange.
Les communications d'Hayange avec les localités voisines n'étaient pas très faciles avant la construction des chemins de fer et pour en sortir, il fallait solliciter l'emploi de quelques voitures du Château. J'allais volontiers à pied à Thionville où j'avais quelques amis. Il y avait des commissionnaires fonctionnant régulièrement avec Thionville et Metz. Herin et sa bourrique faisait tous les jours le trajet de Thionville et en rapportait les provisions de boucherie, épicerie etc… Un autre allait tous les deux jours à Metz distante de 28 kms et revenait le lendemain de son départ. Il portait souvent chez ma tante Baudot des provisions de ménage et des produits du jardin. Ma grand-mère préparait ces envois avec amour.
C'est à cette époque que nous vîmes apparaitre les premières locomotives qui causèrent tant de stupéfaction parmi nos braves paysans.
C'est aussi à ce moment qu'on transforma les usines pour y introduire l'emploi de la vapeur.
Ma mère supportait avec quelques regrets l'impossibilité où elle se trouvait de diriger son ménage. Ma grand-mère continuait à s'en occuper et on ne voulait pas la contrarier. Nous avions une alimentation bien monotone. A midi, toujours la bouillie et les légumes au lard, le soir un plat de viande, la salade et les pommes de terre sous la cendre. Ma mère se bornait à ajouter quelques tartes, surtout dans la saison des fruits, particulièrement en mon honneur. On ajoutait seulement quelques plats quand on recevait un étranger.
En 1856 naquit ma petite sœur Marie, l'année même de la naissance du prince impérial[9]. Elle épousa plus tard Victor Remy[10].
Au mois d'octobre, je rentrai au lycée dans la classe de mathématique élémentaire. Je continuai à me classer parmi les bons élèves. La plupart de mes camarades espéraient bien quitter le lycée à la fin de l’année, les uns pour faire leur droit, d'autres la médecine, le plus grand nombre pour se présenter à Saint-Cyr. Je n'avais pas la moindre vocation militaire. Je voulus cependant me présenter à Saint-Cyr en pensant que je pouvais être reçu. Mon père s'y opposa me rappelant que dès mon enfance j'avais déclaré vouloir entrer à l’École polytechnique et devenir un ingénieur.
Au mois de juillet, je subis avec succès mon examen au baccalauréat. Les examinateurs firent ensuite une visite aux usines où mon père les reçut. Après l'examen, il y avait encore un mois avant d'assister à la distribution des prix. Mon père me laissa au lycée mais il me fit prendre des répétitions avec le professeur de mathématiques spéciales ce qui me permit de rentrer plus tard dans d'excellentes conditions.
L'année suivante, ma classe comprenait 25 élèves environ, j'étais franchement à la tête de ma classe et je fus premier à toutes les compositions de mathématiques. A la fin de l'année, je reçus avec plusieurs prix la médaille du Prince Impérial, donnée à l'élève qui s'est le plus distingué par sa conduite, son travail et ses succès.
Les examens de l'École polytechnique n'avaient lieu à Metz que vers le 10 septembre. Un mois à peu près s'écoulait après la distribution. Durant ce mois, nous redoublions notre travail.
Mon examen eut lieu dans de bonnes conditions et j'avais passé d'excellents examens oraux. Cela me tranquillisa. Le reste de mes vacances se passa avec l'espoir que j'en avais fini avec le lycée.
Un jour étant à la chasse, à une certaine distance de mon père, je le vis recevoir un pli par un petit commissionnaire. Puis il mit son chapeau à l'extrémité de son fusil et le fit tourner d'une façon frénétique. En m'approchant de lui, j'appris que j'étais reçu 31e sur une promotion de 112. Mes camarades de lycée n'avaient pas été brillants. Nous étions quatre seulement sur la liste d'admission. Les trois autres étaient de 3ème année et ne se distinguèrent pas plus tard.
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[1] Ndlr : je ne retrouve pas Suzange ni Schremange mais on trouve Serémange et Erzange
[2] Ndlr : on trouve Daspich à côté de Florange
[3] Ndlr : Pendant longtemps, on a appelé « croup » la toux rauque causée par la diphtérie membraneuse. Grâce à la vaccination universelle, la diphtérie est une maladie quasi inexistante de nos jours. Désormais, on emploie le terme « faux croup » pour désigner les maladies inflammatoires du larynx, surtout la laryngite.
[4] Ndlr : Faubourg de Suzanges à Serémange-Erzange
[5] Ndlr : il s’agit certainement du jeu de « nain jaune », jeu de cartes se jouant à quatre avec un plateau de 5 cases.
[6] Ndlr : environ 5 km à vol d’oiseau. Les 2 villes sont au nord de Forbach. A 65 km à l’Est de Thionville et Metz.
[7] Ndlr : usine de transformation des métaux où se trouve un marteau mû au moyen d'une roue à cames utilisée pour le martelage des métaux en vue d'obtenir des plaques, des tôles, etc.
[8] Ndlr : chevaine ou chevesne : poisson d’eau douce.
[9] Ndlr : le 16 mars, nait Eugène-Louis Bonaparte, prince impérial héritier des Bonaparte. Réf [2].
[10] Ndlr : le 19 octobre 1880.
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