Préface d’Émile Fage
Notre éminent et regretté
collègue, M. le comte de Cosnac, qui portait aux études historiques,
au passé glorieux du Limousin, à la propagation des lettres dans
notre pays, un si vif intérêt, avait bien voulu nous entretenir,
dans les derniers temps de sa vie, de l'intention où il était
d'écrire pour le Bulletin de notre société, qu'il n'avait
cessé d'honorer de sa bienveillance, une notice sur un de nos compatriotes,
issu d'une maison noble de Neuvic, et qui vivait au XVII siècle, Gabriel
de Veilhan, baron de Penacors.
Ce personnage, presque ignoré de nos jours, occupa un rang élevé
dans la société de son époque, il s'y fit remarquer, au
temps des Mazarin et des Retz, par sa dextérité intelligente dans
l'art des négociations, et surtout par sa bonne foi; sa probité
scrupuleuse, presque naïve, sous le règne d'or du mensonge et de
la duplicité, au milieu des circonstances les plus difficiles, en un
moment où le bon sens public et l'honnêteté nationale semblaient
à jamais perdus, dans cet imbroglio d'intrigues, de pamphlets, de défections
écœurantes, de ralliements inattendus, de coups de main et de coups
de théâtre, qu'on a appelé, du nom d'un jeu d'enfants, la
Fronde.
Le portrait à faire était digne de tenter la plume d'un historien.
L'auteur de « Mazarin et Colbert » s'est souvenu de sa promesse,
son travail sur le baron de Penacors s'est trouvé dans les papiers recueillis
après sa mort.
Madame la comtesse de Cosnac, au courant des intentions de son mari, fidèle
exécutrice de ses volontés, a eu la bonté de nous adresser,
en son nom et au nom de ses enfants, le précieux manuscrit. Nous lui
en exprimons ici très respectueusement notre gratitude.
Ces pages posthumes sont d'autant plus intéressantes qu'elles sont les
dernières tracées par la main de Monsieur Jules de Cosnac, par
l'écrivain justement renommé à qui la France lettrée
est redevable des « Mémoires de Daniel de Cosnac », des «
Souvenirs du régime de Louis XIV », des « Richesses du palais
Mazarin », des « Mémoires du marquis de Sourches, de Mazarin
et Colbert ».
Ce qui leur donne à nos yeux un prix particulier c'est qu'en retraçant
le rôle du baron de Penacors dans les temps troublés de la Fronde,
elles remettent en lumière, un personnage de notre histoire locale qui
ne méritait pas d'être oublié et ajoutent ainsi un curieux
chapitre à nos annales en même temps qu'elles témoignent
de l'attachement que l'auteur portait à sa patrie limousine.
M. Jules de Cosnac, suivant son habitude de ne procéder et de ne s'avancer
que pièces en main, au vu de titres originaux et indiscutables, a pu
heureusement appuyer sa narration sur une partie de la correspondance engagée
entre le baron de Penacors et le cardinal Mazarin, la seule qui subsiste.
Il a expliqué et commenté, avec une rare compétence ces
lettres pressées, piquantes, très documentées, où
se reflètent les préoccupations, les inquiétudes, les défiances,
l'esprit même d'une époque fertile en péripéties
de tout genre. Il en a fait la trame et la matière de son étude,
nous les publions en appendice.
Sa méthode rigoureuse et sûre, son talent d'exposition, la connaissance
approfondie des temps qu'il raconte, donnent à son récit un intérêt
aussi attachant que solide.
Ce n'est sans doute pas une mine comme les Mémoires de Daniel de Cosnac
et les souvenirs du règne de Louis XIV, mais le filon, quelque restreint
qu'il soit, n'en a pas moins sa richesse, il ne dépare nullement les
oeuvres importantes dont il est la suite modeste, il est tout à l'honneur
de la mémoire de notre savant compatriote, de l'écrivain judicieux,
consciencieux et indépendant, dont Sainte-Beuve a pu dire, à propos
des Mémoires de Daniel de Cosnac, qu'il compte « les intérêts
du public lettré avant ceux même qui touchaient qu'à la
gloire de son ancêtre et à l’amour propre de sa maison ».
Émile Fage