Le cardinal de Retz après la mort de Mazarin
<-- Vers 7 - Départ de Mazarin à Bouillon et fin de la Fronde |
Nous ne suivrons pas le
cardinal de Retz au donjon de Vincennes, ni au château de Nantes, d'ou
il s’échappa avec une téméraire audace. Nous ne le
suivrons pas d’avantage dans ses pérégrinations en Espagne,
à Rome, et à travers divers états du nord de l'Europe,
mais, après nombre d'années écoulées, nous nous
transportons en Hollande où vint le retrouver son ami toujours fidèle,
le baron de Penacors. Le cardinal Mazarin n'était plus, il avait succombé
le 9 mars 1661, au milieu du triomphe d'une politique qui avait abouti à
la paix générale et au mariage de Louis XIV. Il était mort
à soixante ans, chargé de plus de gloire et de trésors
que d'années .
Malgré son exil, le cardinal de Retz, titulaire de l'archevêché
de Paris depuis la mort de son oncle, n'avait pas cessé de gouverner
son diocèse par ses grands vicaires, se refusant à se démettre
et créant à la Cour de sérieux embarras. Bien que la Fronde
fut déjà loin, il existait encore des mécontents disposés
à se grouper autour de l'archevêque de Paris, aussi une des recommandations
du cardinal Mazarin à son lit de mort, avait été de ne
pas se lasser de poursuivre une démission d'une si grande importance.
Le Tellier et Fouquet, ne perdant pas de vue cette recommandation, crurent,
pour réussir, ne pouvoir mieux faire que de s'adresser au baron de Penacors
qui avait échoué, il est vrai, dans sa tentative de réconciliation
entre le cardinal Mazarin et le cardinal de Retz, mais qui avait néanmoins
donné d'irrécusables preuves de son aptitude aux négociations
et de son désir sincère d'aplanir au profit de la royauté
les difficultés pendantes. Son crédit auprès du cardinal
de Retz fut considéré comme pouvant être d'un grand secours.
Le baron de Penacors n'hésita pas à accepter cette mission et
partit pour la Hollande. Il rejoignit à La Haye le cardinal de Retz auquel
il était chargé d'offrir, outre son retour en grâce auprès
du Roi, des compensations à l'archevêché de Paris s'il consentait
à s'en démettre.
Un confident du cardinal de Retz qui l'accompagnait dans son exil, Guy Joly,
conseiller au Châtelet, fut associé à cette négociation,
mais comme il témoignait d'assez froides dispositions pour son succès,
le cardinal de Retz qui éprouvait un ardent désir de revenir en
France, jugea prudent de ne point s'ouvrir devant lui sur ses véritables
intentions. Tandis qu'il conférait à part avec le baron de Penacors,
il affectait en présence de Joly de dire que jamais il ne consentirait
à donner sa démission. Lorsque les conventions furent à
peu près arrêtées, le cardinal ne put pas néanmoins
se dispenser de mettre Joly dans la confidence. Celui-ci ne pardonna jamais
ce mystérieux procédé. Le cardinal de Retz remit au baron
de Penacors, retournant à Paris, des lettres pour le Roi et la Reine,
rédigées toutefois par Joly, dans lesquelles il protestait de
sa complète obéissance et de sa ferme résolution de sacrifier
ses intérêts à ceux de sa conscience et de l'église.
Il espérait par ces soumissions désarmer le ressentiment du Roi
dans une telle mesure que non seulement son retour lui serait accordé,
mais que sa démission de l'archevêché de Paris cesserait
de lui être réclamée. Cette négociation n'était
pas terminée, lorsque une seconde négociation vint surgir en concurrence.
Le surintendant Fouquet, qui aspirait à devenir premier ministre, voulut
écarter Le Tellier pour l'empêcher de partager avec lui l'honneur
du succès, et il expédia à La Haye l'abbé Charrier,
qui avait si puissamment contribué par ses intrigues à Rome à
faire donner le chapeau de cardinal au coadjuteur de Paris.
L'abbé était porteur de propositions dont les avantages, à
ce que croyait Fouquet, dépasseraient ceux proposés par le baron
de Penacors. Fouquet se trompait : ses offres, loin de dépasser celles
apportées par Monsieur de Penacors, leur étaient inférieures.
S'il faisait de brillantes promesses, telles que celle de la restitution des
revenus accumulés de l'archevêché de Paris, le point le
plus sensible au cardinal de Retz était de prime abord tranché
à son désavantage, sa démission de l'archevêché
était d'autant plus formellement exigée que Fouquet prétendait
faire passer cet archevêché sur la tête d'un de ses frères
.
Cette démission si pénible au cardinal se trouvait donc présentée
par Fouquet comme une nécessité plus impérieuse encore
qu'elle ne l'était dans les propositions transmises par Monsieur de Penacors.
Le cardinal de Retz refusa donc les offres apportées par l'abbé
Charrier en lui faisant remarquer que celles transmises par le baron de Penacors
étaient autrement certaines, puisqu'elles avaient pour garant le Roi
lui-même, que des propositions comprenaient également la restitution
des revenus de son archevêché et qu'elles lui faisaient même
entrevoir quelque espoir de son retour en grâce sans la condition de sa
démission.
Fouquet était alors arrivé au bord du précipice perfidement
creusé sous ses pas par Colbert gouffre où devait sombrer son
ambition, sa fortune et sa liberté. Le Roi le faisait arrêter à
Nantes, sous ses yeux ? Le Tellier ayant suivi la Cour, cet événement
suspendit la négociation du baron de Penacors qui ne put la reprendre
qu'au retour de ce ministre à Paris. Aussitôt après la conférence
qui suivit ce retour, le baron de Penacors retourna en Hollande apportant au
cardinal de Retz les clauses d'un accommodement définitif sur la base
de la restitution des revenus de l'archevêché de Paris. Quant au
retrait de l'exigence de la démission de cet archevêché,
la concurrence du crédit de Fouquet n'étant plus à craindre,
Le Tellier était revenu sur la concession qu'il avait laissé espérer,
cette démission était exigée d'une manière absolue.
L'abbé Charrier, jaloux du baron de Penacors mit à profit cette
déception pour insinuer au cardinal de Retz que son ami l'avait trahi,
que par conséquent il ferait bien de lui retirer sa confiance et de remettre
entre ses seules mains la conclusion de cette négociation, garantissant
de la faire aboutir à un meilleur résultat. Le cardinal feignit
d'écouter l'abbé Charrier et déclara bruyamment qu'il lui
était impossible de consentir à donner sa démission, en
considération même des obligations que lui imposaient les règles
canoniques. Mais comme en réalité il était las de son existence
aventureuse et de la longue lutte qu'il avait soutenue, il tenait à part
au baron de Penacors un tout autre langage. Il le chargea d'aller porter à
la Cour son assentiment à se démettre sous deux conditions dont
nous parlerons plus loin. L'abbé Charrier s'apercevant qu'il n'avait
point l'oreille du cardinal décidé à donner sa démission,
voulut au moins se faire un mérite de changer lui-même d'avis,
et il obtint d'être porteur pour la Cour d'une lettre écrite dans
le même sens que celle dont était porteur le baron de Penacors.
Les deux envoyés, à l'insu l'un de l'autre, avaient à peine
commencé à courir sur la route de Paris qu'ils se rencontrèrent.
L'abbé Charrier se vanta de sa mission, le baron de Penacors, offensé,
écrivit sur le champ au cardinal qu'il ne se mêlerait plus de ses
affaires. Grand embarras de l'éminence, qui fit immédiatement
partir un courrier avec un ordre à l'abbé Charrier révoquant
sa mission, et une lettre de Guy Joly à Monsieur de Penacors lui confirmant
la sienne. Le baron de Penacors reprit son voyage interrompu. Il vit Le Tellier
dès son arrivée à Paris, et ce ministre, après avoir
conféré avec le Roi, lui déclare que sa majesté
ne consentirait jamais aux deux conditions posées par le cardinal de
Retz. La première de lui restituer le revenu complet de ses bénéfices,
ne voulant rendre que ce qui était réellement entré à
l'épargne, la seconde de rétablir le marquis de Chandenier, de
la maison de Rochechouart, dans sa charge de capitaine des gardes, dont il avait
été dépossédé en faveur du comte de Noailles.
Ces refus obligèrent Monsieur de Penacors à repartir pour la Hollande.
Le cardinal de Retz ne pouvait, pour son honneur, abandonner un ami tel que
le marquis de Chandenier qui lui avait donné, au temps de la Fronde,
de si chauds témoignages de dévouement qu'il en avait été
victime. Il désirait, néanmoins, ne pas rompre son accommodement.
Dans cet embarras, il jugea que le meilleur moyen serait d'obtenir du marquis
le désistement de la restitution de sa charge. Il prie donc le baron
de Penacors de retourner à Paris, accompagné de Guy Joly, plus
particulièrement chargé de vaincre l'obstination du marquis de
Chandenier. Le marquis resta inébranlable à toutes les sollicitations,
il refusa même d'accepter du Roi une somme de six cent mille livres offerte
comme récompense du prix de sa charge. Le refus d'une proposition si
avantageuse parut au cardinal de Retz une raison suffisante pour se considérer
comme dégagé vis-à-vis de son ami. Alors, se désistant
de ces deux conditions, il n'hésita pas à accepter sous toutes
réserves les conditions de la Cour. La rédaction de sa démission
fut concertée entre le baron de Penacors, Guy Joly et Le Tellier. Les
deux premiers rapportèrent ce projet au cardinal avec un passeport et
deux mille louis d'or pour les frais de son voyage de retour en France. Ils
rencontrèrent le cardinal à Bruxelles, où il s'était
rendu au devant d'eux. Tous les trois prirent immédiatement le chemin
de la France, et à Commercy, l'acte de la démission de l'archevêché
de Paris fut dressé par deux notaires. Le baron de Penacors et Guy Joly
retournèrent à Paris pour faire la remise de cet acte à
Le Tellier.
En réponse à cette soumission du cardinal de Retz, le Roi se montra
généreux, il donna plus qu'il n'avait promis : à la restitution
des revenus de l'archevêché de Paris il joignit le don de l'abbaye
de Saint-Denis, d'un revenu de quarante mille livres, outre la restitution de
soixante mille livres entrées à l'épargne du revenu de
ses bénéfices, il accorda une amnistie générale
à tous ceux de ses partisans qui s'étaient compromis pour sa cause,
les rétablissant même dans leurs charges et bénéfices,
parmi ceux-ci se trouvait Chassebras, curé de la Madeleine, qui s'était
signalé parmi les plus violents adversaires de la Cour. L'exécution
de ces dernières mesures ayant souffert quelque retard, le cardinal de
Retz s'en montra fort irrité.
L'archevêché de Paris fut donné au célèbre
Pierre de Marca, archevêque de Toulouse ; une mort inopinée l'empêcha
d'en prendre possession.
A partir du jour de sa démission, le cardinal de Retz fut heureux de
substituer le calme aux péripéties de son existence accidentée;
il se retira à Saint-Mihiel où il écrivit ses mémoires.
Quelles furent les relations, à partir de cette époque, entre
le cardinal de Retz et de baron de Penacors nous l'ignorons absolument ; ces
relations, n'ayant pu être désormais que d'une nature toute privée,
n'ont laissé aucune trace ; avec le rôle politique éclatant
du cardinal de Retz, le rôle plus modeste du baron de Penacors avait également
pris fin. Sa participation aux négociations dont nous avons fait le récit
avait été, sinon efficace pour obtenir un rapprochement sincère
entre le cardinal Mazarin et le cardinal de Retz, marquée du moins par
la droiture des intentions et par une activité que ne ralentissaient
aucunes fatigues. Ses négociations avaient été couronnées
de plus de succès pour obtenir du cardinal de Retz sa démission
si longtemps refusée de l'archevêché de Paris, importante
solution qui assura simultanément la paix intérieure de l'état
et la paix de l'église de Paris si profondément troublée
depuis tant d'années.
<-- Vers 7 - Départ de Mazarin à Bouillon et fin de la Fronde |