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Notes de Pol Veilhan, son frère, sur la vie de ses parents André Veilhan et Gabrielle Barba :
"René, qui avait passé plusieurs mois au front dans l’artillerie de tranchées (crapouillots) fut désigné pour l’armée d’Orient et vint, en permission de départ, en septembre à Vaufuget où mon père arriva à cette occasion.
Ce fut la dernière fois que la famille se trouva réunie au complet et on prit une dernière photographie.
René partit pour Salonique d’où il fut envoyé en Serbie."
Les textes ci-dessous sont des textes écrits par René ou issus de discussion avec sa mère, collationnés par son frère Alain.
4 octobre 1918 |
Départ
de René pour l'armée d'Orient |
8 octobre |
"Armée
française d'Orient. |
9 octobre |
"Me voici à Rome, mais de nuit ; halte
repos de deux heures. Voilà le 4e jour et je commence à
être bien fatigué […]" |
11 octobre |
"Base
de Tarente. 38e d'artillerie 81 batterie S.P. 510 A. Armée d'Orient." |
12 octobre |
"J’embarque tout à l'heure pour Itea. J'ai rencontré hier Boelle et un autre camarade, tous deux enseignes à bord d'un torpilleur français de Tarente. J'ai passé la journée avec eux, très heureux de les revoir. Nous partons sur un assez beau paquebot escorté, par temps superbe et la traversée sera très agréable (24 à 48 heures)." |
14 octobre |
"Itea, arrivés ici mais pour peu de
temps, toujours en colonne ambulante. À part cela je suis très heureux et j'espère bien
dans quelques jours cogner à bras raccourcis sur les Turcs et les
Autrichiens. Maintenant c'est très pittoresque, les Grecs en costumes
nationaux, les ânes portant les bagages. Tout le monde en voile
et le casque. Nous avons déjeuné en ville. Les serviettes
absentes, remplacées par un orchestre de mandolines et de guitares.
Voilà un petit aperçu de la guerre en Orient ! Au fond,
c'est très amusant et je suis très heureux. On doit très
bien s'y faire." |
18 octobre |
"Salonique. Me voilà à Salonique.
Arrivé hier après 18 heures de chemin de fer précédées
d'une demi-journée d'auto de Itea à Bralo. Voyage joli et
fatigant à travers les Thermopyles, la vallée de Tempée
et l'Olympe. Mais bien fatigant par une chaleur torride ! Salonique est
immense, mais c'est un énorme faubourg horrible et sale. L'habitant cosmopolite n'est guère intéressant, il cherche surtout à vous estamper. Par contre, pour manger, nous avons le cercle où pour 5 Fr nous avons un très bon repas et une bouteille de vin à une petite table. Voici le menu d'aujourd'hui, vous verrez que ce n'est pas cher du tout. Mais il ne faut rien acheter à Salonique même. J'aurai mille choses à vous raconter lorsque que je reviendrai sur les mœurs bizarres, étranges et sales de ces peuples orientaux. Je dois me présenter demain au général qui probablement me donnera mon affectation. Je pense aller en Turquie, en Bulgarie ou en Serbie. Chaleur assez forte, grippe et fièvres dans le pays, mais pour moi cela va très bien." |
21 octobre |
"Je dois dans deux ou trois jours avoir mon affectation, je ne sais d'ailleurs pour où : le front romain, autrichien ? Ou turc ? La Turquie serait, je crois, le plus intéressant. Un séjour d'occupation à Constantinople ! Le rêve." |
25 octobre |
"Je viens d’avoir mon affectation : 34e artillerie lourde de campagne 3e groupe, je ne sais pas plus de détail […] Il pleut aujourd'hui pour la première fois à Salonique. Je viens de m'acheter à l’intendance pour 75 Fr une veste canadienne. C'est un petit manteau doublé de fourrure et très chaud, très nécessaire pour les nuits à ce qu'il paraît." |
28 octobre |
"Je pars après-demain rejoindre mon régiment
en Serbie - Bulgarie. C'est très vague mais je n’ai pas le
droit de vous en dire plus long. La guerre a l'air de s'avancer et j'espère
bientôt que nous serons aussi en Autriche en pays conquis puis ce
sera le tour de l'Allemagne. Je descends tout à l'heure à Salonique faire des provisions de tabac, objets de toilette etc... avant de partir. La vie est ici plus chère mais on trouve tout ce que l'on veut, même des gâteaux comme en temps de paix. J'ai ici de charmants camarades. Toujours du soleil et des moustiques mais des nuits bien fraîches […]" |
1er novembre |
"En Serbie. Me voilà arrivé dans mon régiment qui est un régiment d'artillerie coloniale. Je viens remplacer le premier adjoint du commandant qui a été évacué en France. J’ai au fond pas mal de travail car mon commandant a 6 batteries lourdes sous ses ordres et je suis son seul adjoint avec un sous-lieutenant. Je tripote de la paperasse toute la journée. J'ai trouvé ici des camarades charmants et beaucoup plus de camaraderie qu'en France, nous sommes en pleine montagne sous la neige dans de petites baraques en terre sèche. S'il n'y avait pas les insectes, cela serait parfait. Nous avons même un phono et tous notre chien pour nous tenir compagnie dans ce bled. Je suis très heureux puisqu'on a signé l'armistice avec les Turcs et je viens de recevoir un coup de téléphone nous annonçant la capitulation de l'Autriche. Il est à prévoir que nous allons faire l'occupation de ce pays et ce sera très chic. Adresse 343e artillerie coloniale |
3 novembre |
"Je suis toujours dans mes montagnes de Serbie,
couchant soit sous la tente, soit dans de petites cagnas. Ne serait-ce cette
solitude qui vous pèse et le manque de relations avec le reste du
monde, je serais très heureux. Je suis l’adjoint d'un commandant
d'artillerie lourde coloniale faisant fonction de colonel ou à peu
près et j’ai pas mal de travail. Me voilà maintenant
devenu un colonial. Or l'artillerie coloniale est assez recherchée. Je ne sais pas si nous allons rester ici. Nous en avons fini avec les Bulgares, les Turcs et les Autrichiens. Cependant, on parle de nous faire peut-être aller dans le Bosphore garder les forts Turcs." |
7 novembre |
"Je suis bien triste de la nouvelle que vous
m'annoncez. Ce pauvre Thelis était réellement un trop brave
garçon et pendant toute cette guerre, il aura toujours fait plus
que son devoir. Parmi tous les morts de la famille, c'est certainement celle
qui me touche le plus […] Voilà la guerre qui finit. Pour l'instant nous sommes arrêtés en Serbie, attendant d'aller en Turquie en Autriche. Je voudrais bien que papa cherche à me trouver une situation, cela me serait égal d'aller en Angleterre, Amérique, Algérie, Allemagne. Je désirerais aussi me marier de suite après la guerre. Cela n'est pas de la blague du tout, ce que j'ai dit ! […]" |
9 novembre |
"Hier j'ai été voir la fête des morts Serbes. C'est tout ce qu’il y a de plus curieux. Pour l'instant nous sommes au repos, en attendant qu'on nous dirige quelque part. À part le service qui est assez restreint forcément en ce moment, c'est la pêche, la chasse et surtout le cheval. Je descends le matin de bonne heure dans la vallée et je pique droit devant moi au grand galop. Les camarades sont tous charmants et j'ai une très bonne place […]" |
11 novembre |
"Hip hip hourrah ! Nous voilà vainqueurs
sur toute la ligne. Il est seulement malheureux pour nous que cela se
termine sur un deuil ! […] Les mœurs sont ici très intéressantes. Les camarades sont charmants, nous nous entendons merveilleusement et cela nous aide avec nos chiens, nos chevaux, notre phono et les ressources de la popote (jacquet, cartes, échecs) à passer les interminables journées car, même moi qui pourtant ai tout le travail du groupe, n’ai pour ainsi dire rien à faire. Aussi nous nous calfeutrons ; aujourd'hui et ce soir, dans nos petites cagnas, nous n'aurons pas bien chaud. J'ai fait l'acquisition de deux toiles caoutchoutées et de deux toiles de tente de sorte que me voilà monté. Décidément, l'artillerie coloniale est une chic arme et je m'y plais bien. Les poilus sont tous épatants, mais franchement, isolés comme nous sommes sur nos flancs de rochers, ce n'est guère très gai pour fêter la victoire et bien que nous rayonnions tous de joie, nous regrettons de ne pas nous trouver en France. Nous allons passer un Noël plutôt gai cette année.
Il changera un peu de ceux des années précédentes.
Je regretterai seulement de ne pas être parmi vous. Je commence
à devenir oriental et à prendre quelques habitudes d'ici
: la sieste les jours où il fait chaud, les plats épicés,
fumer etc ! […] |
22 novembre |
"Nous sommes absolument envahis par la neige et sur nos montagnes, c’est une vie peu banale que nous menons presque enfermés du matin au soir. Nous nous occupons tant bien que mal. Nous lisons, nous jouons au bridge, au jacquet etc … et un peu de photo et de chasse. Nous mangeons aussi presque tous les jours des alouettes que nous chassons. Ma chienne est aussi une de mes grandes occupations. Nous en avons d'ailleurs tous autant et à l'heure des repas, la popote est envahie par une véritable meute." |
6 décembre |
"Je vous écris dans ma nouvelle cagna.
J'ai en effet hâté ma nouvelle installation, le vent ayant
cette nuit enlevé la toiture de la mienne. Je me suis donc installé,
voilà comment, une baraque en caisses vides pleines de terre avec
un toit de tôles ondulées avec dessus du carton bitumé
et de la terre ; trois pièces : mon bureau, ma chambre et celle
d'un camarade. Trois chambres 1m25 sur 2m75, une porte, une fenêtre,
celle-ci de 0m75 sur 0m30. Le tout tapissé avec des stores en raphia
que mon ordonnance m'a dénichés, un plafond en toile de
tente, le parquet en planches avec un tapis en stores, partout des gravures
(vie parisienne). Devant la porte, une portière en toile de tente.
L'ameublement consiste en mon lit de camp, une table où j'écris,
le téléphone, un rocking-chair ingénieux fait en
bois et toile de tente, un banc fantaisie et un escabeau, une petite table
de toilette, dans le mur des petits placards qui sont simplement des caisses
ne contenant pas de terre, sous le lit la caisse de ma chienne et une
cantine, sous le banc une autre. Un chandelier consistant en une petite
planche et quatre clous, un plat de campement comme cuvette, une boîte
d'allumettes vide comme cendrier. J'ai toujours ma petite chienne qui me tient compagnie, toujours content de mon ordonnance, un vrai brave garçon. Nous avons joyeusement fêté la sainte-Barbe et je vous envoie le menu fait par mes soins. Nous avons, à la popote de l'état-major, invité tous les officiers artilleurs du groupe et alentour, et nous étions 21 à table. Nous allons être dissous et partir d'ici dans une quinzaine pour Salonique." |
30 décembre |
"Mes vœux pour 1919 vous arriveront certainement
bien tardivement […] Ici me voilà toujours à Salonique, cela va faire bientôt trois semaines et on ne parle pas encore de me donner de nouvelle affectation. Je commence à m'ennuyer dans cette ville cosmopolite pas très favorable pour la bourse." |
9 janvier 1919 |
"Je suis toujours à Salonique mais me déplaçant un peu. Ainsi je viens d'aller à Monastir avant-hier et j'y retourne demain pour revenir en avion." |
22 janvier |
"Enfin il y a du nouveau, j'attendais pour vous le dire que ce soit officiel. Je suis affecté au grand quartier général. Je vais partir dans trois ou quatre jours en mission commerciale à Constantinople ou Sofia. Cela va être très intéressant." |