Mon père naquit en 1863. Mon grand-père
Achille Veilhan était colonel du Génie, aide de camp du maréchal
Niel, alors ministre de la Guerre sous Napoléon III (voir ses États
de service à la fin du volume). La guerre avec la Prusse approchait et
le colonel Veilhan participait aux efforts de son chef, le Maréchal,
pour doter la France de forces suffisantes. Il mourut brusquement en 1868, à
50 ans, au sortir d'un conseil où le Maréchal avait vainement
essayé de convaincre l'Empereur du péril couru par la France,
si elle ne réformait pas complètement son organisation militaire.
La mort du Colonel laissait ma grand-mère dans
une situation pécuniaire difficile. Elle n'avait pour vivre et élever
ses trois
enfants[1] que sa pension de veuve et les revenus de la propriété
de Vaufuget à Vouvray. Toute l'enfance de mon père et sa jeunesse
furent marquées par cette gêne pécuniaire et on comprend
mieux ainsi pourquoi la réussite de ses études, puis de son travail
professionnel fut pour lui une sorte de revanche contre le sort.
Mon père fit ses études comme boursier et interne au lycée Henri
IV[2] à Paris . Il fut un bon élève si l’on en juge
par les nombreux prix qu’il obtint au lycée . Entré au lycée
en 1871, donc à 8 ans, il y demeura jusqu'à son admission à
l'École Centrale des Arts et Manufactures. A Paris, il avait comme correspondants
son tuteur le colonel
Laussedat (voir Annexes) et Monsieur
Borne, dont le fils Léon fut son grand ami et le parrain de mon frère
Yves (voir Annexes).
A la sortie de l’École
Centrale avec le diplôme d’Ingénieur, mon père
fit son service militaire pendant un an, au 113e Régiment d’Infanterie
de Blois. Il en garda un souvenir assez horrifié ! Il fut nommé
officier de Réserve au sortir du Régiment.
Il entra aux Mines d'Anzin en 1889 puis fut engagé
par la Société Générale des Chemins de Fer
Économiques et envoyé à Morlaix, avec le titre de
chef d'exploitation du Réseau Breton.
C'était un réseau qui n'existait pas ... et mon père
le construisit en entier. A cette époque (vers 1895), la Bretagne
n'était desservie que par deux lignes de chemins de fer, celle
du Nord qui joignait Paris à Brest par Rennes et Saint-Brieuc,
et celle du Sud qui gagnait Brest par Tours, Angers, Quimper. Entre ces
deux lignes, la Bretagne ne connaissait que les diligences et était
demeurée un pays sauvage gardant sa langue, ses costumes et ses
traditions. La construction de lignes transversales qui pouvaient être
à voie étroite en raison du faible débit à
assurer, répondait donc à une nécessité.
Mon père construisit et exploita son réseau
qui ne manquait pas de pittoresque avec ses gardes-barrière en
coiffes de dentelle et ses locomotives conduites par des gars à
pantalons serrés aux fesses, la large ceinture bleue autour des
reins, et le chef couvert du chapeau à larges bords d'où
pendaient les deux rubans de velours tenus par une boucle d'argent.
A Morlaix, mon père habitait un appartement
quai de Léon, Il acheta beaucoup de meubles anciens et en particulier
le fameux lit à colonnes et baldaquin qui servait d'auge à
cochons dans une ferme, et qu'il fit reconstituer par des sculpteurs bretons.
C’est dans cet appartement
que s’installa le jeune ménage de mes parents, après leur
mariage en 1896.
[1] Georges né en 1860, André né en 1863, Marie-Louise née en 1864. Un premier enfant, Maurice, était né en 1857 et mort en 1862.
[2] Le collège impérial Henri IV devint après 1870 le lycée Corneille, puis en 1873 le lycée Henri IV.
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