André Veilhan & Gabrielle
Barba
- Période de la guerre -
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Le buste | Période de la guerre | Mort et résurrection |
Tout le texte qui suit est issu du livre de Chantal Le Gallo, fille d'Alain Veilhan, petite-fille d'André.
Je n'avais pas tout à fait dix ans quand la guerre éclata en 1939. C'est à peu près de cette époque que datent mes souvenirs de grand-père et grand-mère. Nous allions les voir souvent, bande de gamins bruyants, se chamaillant à qui tirerait le premier le gros gland en tissu qui déclenchait une sonnerie grêle dans les profondeurs de l'obscur appartement du 7, avenue de Paris. Sitôt franchie l'épaisse tenture
de la porte d'entrée, on baissait la voix dans ce petit univers clos,
mystérieux, un peu inquiétant, où d'innombrables et étranges
bibelots et meubles, témoins d'une aisance démodée, côtoyaient
les humbles ustensiles d'une vie quotidienne malcommode que trahissaient les
odeurs mêlées de poussière antique, de renfermé,
d'eaux de Javel et de Cologne. Grand-père et grand-mère étaient
là, accordés au décor. Lui, chauve et l’œil
vif, nous intimidait un peu. Toujours plongé dans des comptes interminables,
nous le voyions s'animer parfois pour raconter de bonnes histoires dont nous
ne saisissions pas toujours la saveur. Le monsieur très digne dans son cadre au salon,
c'était son père, Joseph, qu'elle avait peint elle-même,
et le soldat de la photo, si jeune dans son uniforme, avec toutes ses décorations,
leur fils aîné, mort à 22 ans... et les petits anges au
pied de leur lit, leurs deux bébés morts tout petits. Les piles
de gants au beurre frais et les dentelles, c'était leur vie mondaine...
Le chapelet à portée de main témoignait de leur piété. A la fin de leur vie, demeurait néanmoins l'essentiel
: un grand courage, une foi très solide et un amour intact. Car, à
80 ans, ils se disputaient souvent mais demeuraient toujours très amoureux,
comme en témoignent des lettres de grand-père (84 ans) à
sa femme en 1947, lors d'un voyage à Angers. Pendant toute la guerre, aux préoccupations d'un
budget très serré, s'ajoutera, comme pour beaucoup, la hantise
permanente du ravitaillement: nourriture, vêtements, chauffage. Grand-père
économise et garde tout. Plus tard, on retrouvera la plaque de chocolat
dernier recours, cachée sous les bouquins et la boîte fameuse assortie
d'une étiquette « petits bouts de ficelle ne pouvant servir à
rien. » Je me souviens du mariage à Paris, rue des Martyrs d'un de nos cousins, Charles Martin, le 31 Décembre 1943 où nous étions avec grand-père. Mariage de guerre typique: alerte et bombardement dans le train Versailles-Paris, église glaciale, doigts de pied gelés pour cause d'essai d'élégance, ruée dans l'appartement sur le pauvre buffet déjà pillé par les moins discrets, repli stratégique après quelques politesses, sur les boulangers du coin où l'oncle Marcel fait figure de sauveur en nous offrant quelques galettes sans ticket genre semelles de botte... Mais la mariée était belle et le marié en superbe uniforme. Début 1944, grand-mère tombe malade. Déjà
bien infirme, elle n'arrive plus à marcher. On essaye un traitement aux
rayons X mais il faut aller à la clinique et il n'y a plus de taxis.
Grand-père achète une remorque pour bicyclette et, à 80
ans, avec l'aide de sa belle-fille Marthe, il pousse et tire la remorque sur
les pavés de Versailles, avec sa femme assise dedans... Enfin, viennent des temps meilleurs après la guerre. Grand-père et grand-mère recommencent à voyager comme ils l'ont toujours fait (leurs permis gratuits leur permettent ce luxe): ils vont voir leurs enfants et leurs 22 petits-enfants à Angers chez les Yves, à Nice chez les Pol, à Grenoble chez les Jo. En 1947, toute la famille se réunit à Versailles pour leurs Noces d'Or. Grand-mère reste couchée presque tout le temps. Elle ne peut plus monter dans le grand lit breton et on lui installe à côté un affreux petit lit de fer. Du coup, on ne peut plus faire un pas dans la chambre. Elle met un quart d'heure pour se traîner jusqu'au petit coin à l'autre bout de l'appartement. En mai 47, je pars aux Tranchandieres à Angers accompagner
grand-père à la première communion de son petit-fils Gérard.
Je suis très consciente de l’honneur qui m'est fait... Grand-père
s'agite, s'empresse, nous bavardons sans arrêt. Il est en pleine forme...
et moi je suis ravie mais j'ai mal aux fesses car nous avons choisi le plus
mauvais wagon du train : un compartiment donnant sur la voie avec des banquettes
à lattes de bois... En mai 49, grand-père tombe très gravement malade. Le docteur pense qu'il est perdu. Tous ses enfants accourent. |